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Les théières en fonte du Japon
Emblématique du thé et du Japon, la théière en fonte est devenue un objet de référence pour nombre d’amateurs de thé. Bruits de Palais en retrace l’histoire et dévoile les secrets de cet artisanat multiséculaire.
- Article extrait du magazine Bruits de Palais 53 - page 4 -
L’origine des théières en fonte
La fonte est un alliage de fer et de carbone, dont les premières utilisations remontent au IVème siècle av. J.-C. en Chine. Au Japon, si on date sa maîtrise de l’époque Yayoi (300 av. J.-C. à 250 ap. J.-C.), essentiellement tournée vers la fabrication d’armes, ce n’est que vers 1600 que l’artisanat des fondeurs prend son essor véritable.
En ce début de XVIIème siècle, le Japon entre dans une nouvelle ère, celle du Shogunat Tokugawa (couramment désigné par Edo), qui marque la fin d’une période de grande instabilité politique et militaire. Cette accalmie permet à de nombreux artisans et artistes de s’attacher durablement à des princes et d’exercer leur art en toute sérénité.
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Dans la région de Tohoku, le Prince local, Nanbu Toshinao, est fasciné par le thé et sa préparation. Très riches en minerai de fer, les sous-sols de Tohoku vont lui offrir une opportunité unique : celle de créer un artisanat totalement dédié à sa passion. Nanbu fait ainsi venir de tout le Japon les meilleurs fondeurs et, en quelques décennies, Morioka et Mizusawa, deux villages proches de son château, abritent les plus importantes fonderies de l’archipel.
Les objets fabriqués sont de grosses bouilloires (tetsubin) pouvant contenir plusieurs litres d’eau et des braseros permettant de maintenir l’eau à une température élevée pour la cérémonie japonaise du Cha No Yu. Les commandes affluent de tout le Japon : fonte et thé sont désormais intimement liés. Au fil des siècles de nombreux artistes se sont illustrés dans la création de ces objets en fonte, formant ainsi un patrimoine exceptionnel aux multiples sources d’inspiration. Aujourd’hui des modèles anciens sont toujours fabriqués et côtoient les créations les plus récentes des grands designers japonais.
Ce ne sont pourtant pas les tetsubin qui constituent depuis une cinquantaine d’années l’essentiel de la production de Morioka et de Mizusawa, mais des théières leur ressemblant étonnamment. En effet, quand les Occidentaux découvrent à la fin du XIXème et au début du XXème les tetsubin, en même temps que les trésors de la civilisation japonaise, ils utilisent ces dernières assez naturellement pour préparer le thé et non uniquement pour faire bouillir l’eau. Ce détournement fonctionnel va peu à peu donner naissance à un nouveau marché : la contenance des tetsubin diminue, des vernis alimentaires sont appliqués sur les parois intérieures pour éviter la rouille, des pigments égayent les motifs...
La théière en fonte devient un objet en soi, exclusivement fabriqué pour être exporté.
L’engouement occidental pour les théières en fonte est tel que, dans les années 2000, des fonderies chinoises se mettent à leur fabrication, inondant le marché de produits bon marché et mal finis, dont la qualité ne peut en aucun cas rivaliser avec l’artisanat japonais.
Revenons donc aux origines...
Secrets de fabrication
Si les capacités de production sont plus importantes aujourd’hui, la fabrication d’une théière en fonte demeure artisanale et répond à des étapes et des critères immuables. Elle nécessite de nombreux moules : deux pour le corps, un pour le bec et deux autres pour le couvercle.
L’anse, quant à elle, est forgée directement dans le feu. L’artisan, à l’aide d’une tige métallique, dessine les motifs voulus dans l’argile encore tendre du moule extérieur.
Le métal en fusion, aux alentours de 1300°C, est coulé dans l’espace entre les deux moules (photos 1, 6 et 10). Plus cet espace est étroit, plus la théière est élégante et de qualité. La fonte est un alliage qui se coule facilement et « imprime » donc bien les motifs du moule.
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Elle refroidit dans le moule et la théière est alors d’un beau gris brillant (photos 5 et 9). Pour les théières de très haute qualité, vient alors l’étape où l’on brise le moule, ce qui explique en partie le coût relativement élevé d’un tel objet. L’artisan applique ensuite un vernis alimentaire à l’intérieur de la théière
La théière est ensuite placée dans un four chauffé au charbon qui dégage du monoxyde de carbone : par ce procédé, le feu absorbe l’oxygène de la surface de la théière, qui fonce et devient noire (photo 6). Le vernis alimentaire, sous l’effet de la chaleur, se fige pour devenir permanent.
L’étape finale est la pigmentation qui apporte une patine délicate à l’objet. Par différentes techniques, on colore ou noircit la surface de la théière. Le dosage en pigments et la finesse de pulvérisation sont des secrets bien gardés par chaque fondeur, au même titre que la composition exacte de la fonte employée. Chaque fonderie a ainsi des spécificités bien particulières, jalousement gardées.
On retrouve traditionnellement sur les théières de nombreux symboles, inspirés de la nature et « sculptés » sous la forme de motifs. Arare évoque le givre, Matsuba les aiguilles de pin, Itome le colimaçon, Nami la vague, Sekitei le jardin de pierres... La thématique des saisons est également une source d’inspiration sans cesse renouvelée : Hanami raconte la contemplation des cerisiers en fleurs au printemps ; Momiji-Gari celle des feuilles d’érable à l’automne.
Certains artisans excellent enfin dans la reproduction de fresques sur les parois des théières. Parallèlement à cette production traditionnelle, créer une théière en fonte est devenu un exercice de style indispensable pour tout designer qui se respecte. La matière noble qu’est la fonte et la tradition ancienne de cet artisanat se métissent ainsi de lignes modernes. Dans ses boutiques, Le Palais des Thés se fait le témoin de cet aspect de la création contemporaine japonaise et présente le travail de grands designers comme Hisanori Masuda et, plus récemment, Hisao Iwashimizu.
Quelques conseils d’entretien
Avec le temps, les pigments colorés appliqués sur la théière peuvent s’estomper légèrement et lui donner une belle teinte patinée. Toutefois, pour préserver sa couleur d’origine mieux vaut maintenir la théière à l’écart de tout détergent, corps gras, humidité ou source de chaleur directe.
Comme tout alliage à base de fer, la fonte rouille. Traditionnellement, les Japonais laissent leurs tetsubin rouiller, ce qui est sans aucun danger pour la santé et constitue, au contraire, un apport en fer supplémentaire à leur alimentation. En revanche, la plupart des modèles importés en Occident sont vernissés afin d’éviter ce type d’oxydation. Les parois intérieures des théières sont donc protégées avec un vernis alimentaire, qui les empêche d’être poreuses et de se culotter. Avec le temps, les dépôts successifs de tanins peuvent entraîner la formation d’une pellicule noire, qui n’altère nullement le goût du thé.
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Cette pellicule s’effritera toute seule en laissant sécher la théière quelques jours à l’air libre. Pour entretenir la théière et lui conserver ses qualités et sa beauté, il est enfin conseillé de suivre les instructions suivantes :
- après avoir utilisé la théière, la rincer à l’eau chaude et bannir l’utilisation de produit d’entretien,
- essuyer les parois extérieures quand elles sont encore chaudes,
- ne jamais frotter la théière avec un objet abrasif (éponge, "scotch brite"...) mais l’essuyer avec un chiffon doux,
- toujours laisser sécher l’intérieur de la théière à l’air libre sans le couvercle,
- ne jamais laisser d’eau ou de thé trop longtemps dans la théière,
- pour éviter les taches et les auréoles, ne jamais laisser d’eau ou de thé sur les parois de la théière,
- avant de ranger la théière, vérifier qu’elle est parfaitement sèche (intérieur comme extérieur) et, si possible, la séparer de son couvercle.